Pékin veut son satellite-espion
La Chine souhaite acheter à Paris un engin de précision. Mais l'armée française n'est pas chaude.

Par Jean-Dominique MERCHET
vendredi 27 juin 2003

La France doit-elle vendre un satellite-espion à la Chine populaire ? Discutée au plus haut sommet de l'Etat, cette question fait, à Paris, l'objet d'un débat aussi vif que discret. «Certains sont prêts à vendre n'importe quoi !», s'insurge un officier supérieur, alors que la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, arrive dimanche à Pékin pour une visite officielle. «C'est un dossier explosif», reconnaît un diplomate. Les militaires souhaitent empêcher la vente d'un équipement jugé stratégique à un pays peu sûr, alors que les diplomates - soutenus par les industriels - l'encouragent au nom du concept chiraquien de «multipolarité».

Toute à ses ambitions internationales, la Chine souhaite en effet acquérir un satellite d'observation comparable à l'engin militaire français Hélios 1, dont les images sont «secret défense». «Pékin a absolument besoin de la technologie étrangère, car ils ne savent pas faire ce genre de choses», explique le général Jean-Vincent Brisset, spécialiste de l'armée chinoise (1). La Chine a un grand retard en matière d'observation spatiale et «elle essaie désespérément d'obtenir des transferts de technologies», confirme Isabelle Sourbès-Verger, chercheuse au CNRS (2).

Archaïque. Depuis 1975, Pékin utilise des satellites de reconnaissance militaire FSW de conception russe. Il s'agit de petites capsules qui restent quelques jours en orbite avant de redescendre leurs photos sur terre... Une technologie complètement archaïque. Au cours des années 90, la Chine a développé un programme civil, d'abord en association avec le Brésil (CBERS), puis seule (Feng Yun). Avec une résolution de un à trois mètres, les satellites Feng Yun peuvent avoir un usage «dual», c'est-à-dire civil ou militaire. Mais la Chine veut entrer dans la cour des grands, avec des satellites d'une résolution inférieure à un mètre. Et là, les militaires français ne sont plus d'accord.

«Ce n'est pas vraiment une bonne idée», explique l'un d'eux. «La question que nous nous posons est la suivante : est-ce qu'au cours de sa durée de vie (cinq ou six ans), le satellite que les Chinois aimeraient acheter en France pourrait représenter un danger pour la sécurité de nos alliés ? La réponse est oui», ajoute un autre officier. Les Etats-Unis, mais aussi le Japon, la Corée du Sud, l'Inde ou la Russie ne souhaitent guère se retrouver sous l'oeil indiscret de l'armée chinoise. Et cela, grâce aux Français. Une manière assez sûre de se faire beaucoup d'amis, surtout à Washington.

Dans les états-majors français, l'incompréhension est d'autant plus grande que la Chine fait partie des adversaires potentiels, même s'il n'est pas poli de le dire. A la fin des années 90, la doctrine de la dissuasion nucléaire a été discrètement révisée, sous l'impulsion de Jacques Chirac et de Lionel Jospin, pour y intégrer de nouvelles menaces. La Chine y figure en bonne place, sous l'appellation codée de «scénario lointain»...

«En quoi l'acquisition d'un tel satellite par la Chine est-elle un danger pour la sécurité internationale ?», s'interroge Isabelle Sourbès -Verger. «La transparence, obtenue par le biais de l'observation mutuelle, peut être un gage de sécurité. Mais si la réalité de la menace me laisse perplexe, je ne vois pas ce qui nous oblige à mettre les Chinois à parité avec nous», poursuit la chercheuse.

Pour la diplomatie française, la réponse tient en un mot : «multipolarité». Il s'agit de la nouvelle doctrine qui s'oppose à la construction d'un monde «unipolaire», c'est-à-dire sous direction américaine. D'où la tentation de soutenir et de s'allier avec des pays capables de faire contrepoids aux Etats-Unis. La Chine, par exemple. C'est une idée notamment défendue par le directeur de l'Asie au Quai d'Orsay, Thierry Dana, un ancien de la cellule diplomatique de l'Elysée qui a l'oreille de Jacques Chirac.

Mais il y a un problème : la Chine populaire est toujours sous le coup d'un embargo européen sur les armes, décidé à la suite de la répression de Tien Anmen (1989). Un embargo jugé «anachronique» au Quai d'Orsay et à l'Elysée. Lors du récent voyage de Jean-Pierre Raffarin à Pékin, Paris a réaffirmé à la nouvelle direction chinoise sa volonté de convaincre l'Union européenne de lever l'embargo. Un vote à l'unanimité est nécessaire. Or, si la Grande-Bretagne ou l'Italie partagent la position française, d'autres pays comme le Danemark refusent absolument la levée de cet embargo, sans amélioration notable des droits de l'homme en Chine communiste.

«Pour les Chinois, la priorité est la levée de cet embargo, estime Valérie Niquet, de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Contrairement à ce qu'on croit en France, elle ne s'inscrit pas dans une logique multipolaire.»

Taïwan. Sous couvert de «dialogue stratégique» avec la France, les Chinois devraient aborder la question des satellites au cours de la visite de Michèle Alliot-Marie. «C'est un problème très complexe. On en parle», explique-t-on dans son entourage. Le sujet est d'autant plus sensible que la France a vendu, en 1998, un satellite d'observation à Taïwan, l'ennemi juré de Pékin. Ce Rocsat-2, qui doit être mis sur orbite en octobre, possède une résolution de 2,5 mètres - c'est-à-dire beaucoup moins précise que ce que Pékin souhaite acquérir.

«Nous aimerions pouvoir faire notre métier d'industriel, c'est-à-dire vendre nos produits, même si l'on ne veut pas vendre n'importe quoi à n'importe qui», affirme-t-on chez Astrium, le fabriquant français (groupe EADS) de satellites d'observation. Mais, en France, l'exportation d'équipements militaires ou de matériels jugés sensibles, n'est pas libre. Elle est soumise à l'autorisation de la Commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériel de guerre (Cieemg), qui dépend du Premier ministre.

Les partisans de la vente d'un satellite à la Chine expliquent que l'affaire n'est pas si grave puisqu'on peut désormais acheter librement des images satellitaires très précises à des entreprises privées, comme Space Imaging. «Ces entreprises, souvent liées au Pentagone, gardent un certain contrôle sur les images. Leur intégrité est-elle garantie dans tous les cas ? Dans quels délais sont-elles fournies ?» remarque un militaire. Les Chinois l'ont bien compris : mieux vaut posséder son propre système d'observation spatiale. Quitte à l'acheter sur une étagère française.

(1) Auteur de la Puissance militaire chinoise, PUF/Iris, 16 euros.
(2) Coauteur de l'Espace, nouveaux territoires, Belin, 38,90 euros.

 

© Libération

 

 

 

 

 

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